Témoignage et envoi de Jean Charles de Coligny
AGSE – Site National Routier
Les lignes ci-dessous reviennent sur le discours témoignage et envoi de Jean Charles de Coligny, fondateur de notre Route Scouts d’Europe, lors du 40ème Vézelay en octobre 2015.
Soyons plein de gratitude pour la Route qu’il nous a offerte avec l’aide de la Providence.
Et si la Route te manque fais-la!
«
Nous savons tous que vivre c’est marcher… vivre suppose de se salir les pieds.
»
Pape François, 27 septembre 2015
Crédit photo : The Associated Press – Andrew Medichini
Jean Charles de Coligny, Vézelay 2015
Votre CNR Jean-Baptiste et votre CG Michel-Henri m’ont invité à venir à ce Vézelay, et demandé de vous parler du passé, du premier Vézelay, celui de 1976, etc. Je vous parlerai un peu du passé, mais surtout du présent et de l’avenir.
1. Parlons donc du passé
Il est bon et nécessaire que l’arbre vive de ses racines, mais c’est pour grandir et porter du fruit. Coupé de ses racines il meurt, et les feuilles mortes sont emportées par le vent.
On réduit de plus en plus, voire on supprime, l’histoire et la géographie dans l’enseignement. Coupé de ses racines dans le temps et dans l’espace, le jeune est ainsi livré au vent de l’histoire, à la pensée unique, à l’uniformité…
Par exemple, si cette année, cent ans après la guerre de 1914-1918, vous recherchez et trouvez trace, dans les papiers de famille, de l’un de vos aïeux qui a combattu à l’époque pour gagner votre liberté, si vous découvrez sa vie, son histoire, les lieux où il s’est battu, etc. vous réanimez ainsi une de vos racines et vous y gagnez une qualité supérieure de fruit.
La Route de 1976 ! Vous vivez en 2015 dans un monde très différent de celui où vivaient les routiers de 18 ans en 1976. Vous avez des moyens nouveaux considérables, ordinateurs, téléphones portables, réseaux sociaux, pour ne citer que cela qui était alors inconnu !

AGSE – L.GOMAS
En revanche, nous agissions dans un terrain libre, nous campions où nous voulions au hasard du chemin, nous faisions du feu n’importe où, nous traversions l’Aubrac sans rencontrer une seule clôture, etc. Vous vivez, vous, dans un monde qui interdit tout cela, dans un monde d’interdits dans lequel, de plus, la permissivité du mal est devenue légale : on tue les enfants avant même qu’ils ne naissent, on marie les homosexuels, on liquide les vieux qui nous encombrent…
Lors du premier tronçon St-Jacques en juillet 1976, nous avons traversé l’Aubrac en ligne droite. Aujourd’hui les clôtures tous les 100 m ne suscitent que l’envie de sortir le sécateur. Il est vrai aussi que nous étions absolument seuls. Le renouveau du pèlerinage que nous avons ainsi provoqué a suscité une foule de marcheurs, aux motivations et aux comportements très divers, et les barrières se sont ainsi répandues. Les vaches n’aiment pas les détritus laissés n’importe où… Et les chambres d’hôtes, les gîtes ruraux, et autres hôtels et commerces qui ont fleuri dans tous les hameaux bénéficient des longs détours imposés.
Je disais à votre CNR : cela ne m’intéresse pas du tout de venir exhiber devant vous ce que nous avons fait. Et cependant je suis là ! Je ne vous parlerai pas de la situation de 1976 ; ni de celle de 2015 que vous connaissez parfaitement. Ces situations sont très différentes. Je suis venu pour vous parler de ce qui n’a pas changé, de ce qui ne change pas avec le temps, avec la situation.
Sur un chemin en plaine on marche à sa cadence. Quand la route descend, on va plus vite. Quand ça monte, en montagne, on ralentit le pas… vous savez cela. Mais si le terrain, la cadence, le pas, si tout cela change, le but, l’endroit où on va reste le même…
En terme scout, cela s’appelle la mission : la 10e question du Départ routier :
« Promets-tu de ne jamais regarder la vie comme une partie de plaisir, mais comme une mission dont rien ne doit te détourner ? Es-tu décidé à travailler et à combattre sans jamais oublier que le règne du Christ est le but de ta route ? »
Le routier-scout se sait missionné. (Je ne dis pas missionnaire, qui a un sens particulier)
2. Parlons à présent de la « mission » du routier, en 2015
2.1. En mission
Le terme mission vient du verbe latin « mittere, missus sum » « envoyer, je suis envoyé ».
Vos années de route vers le Départ ont pour but de vous faire prendre conscience que vous êtes envoyés sur cette terre, que durant toute votre vie vous êtes en mission.
Cette prise de conscience d’être en mission vous fait voir d’abord que vous n’êtes pas premier. Sainte Jeanne d’Arc disait « Messire Dieu premier servi ». (Article 223 du Catéchisme de l’Eglise catholique).
Dieu créateur est premier, et Il a créé chacun d’entre vous en vue d’une mission, personnelle, unique. Dieu est premier en tout, saint Jean l’explique dans sa 1ère lettre (chap 4).
Si le Christ est la Route (Jn 14/6), la vie de celui qui Le suit (« Suis-moi ! ») est une mission, une route personnelle.
L’un de nos slogans de 1976 était : « Il y a autant de routes que de garçons »
Lors de votre Départ routier, vous acceptez d’être toute votre vie en mission, même si les termes précis de cette mission ne vous sont pas tous connus.
Accepter la mission, répondre prêt, c’est entrer dans la vie, c’est vivre. Nous apprenions jadis une belle réponse à celui qui proposait une mission difficile voire impossible : « Difficile ? C’est fait ! Impossible ? On essaie ! ». La devise « Qui ose gagne » révèle le même esprit.
Cet esprit, c’est l’esprit scout : « rechercher ce qui est difficile et vouloir vivre rudement … renoncer à ton égoïsme, à ton confort, à ta sécurité », deuxième question du Départ.
Lors du Départ vous engagez votre vie. L’abbé Joly, aumônier de la Route avant la guerre de 1939-1945 a écrit un livre en 1937 : « Le beau risque de la foi », et dans ce livre une belle prière :
« Seigneur, je voudrais être de ceux qui risquent leur vie…
J’ai à engager ma vie, Seigneur, sur votre parole… »
2.2. Engagement, risque
Aujourd’hui, plus qu’en 1937, et plus qu’en 1976, il s’agit d’engager sa vie (dans le Mariage en particulier à l’heure du synode sur la famille qui se déroule à Rome).
Votre vie est comme une départementale, il y aura des carrefours, des ronds-points. A chaque rond-point, il vous faudra choisir une route, choix éclairé par votre mission. Si choisir c’est renoncer, c’est abandonner les autres routes, (« Mon Dieu, je m’abandonne à vous » disait le bienheureux père de Foucauld) choisir c’est surtout risquer. La route la plus dure est souvent le bon choix ; la plus facile attire les foules. Un Chef de clan écrivait en 1938 « Donnez-moi, mon Dieu, ce dont les autres ne veulent pas… l’insécurité, l’inquiétude, la tourmente et la bagarre » (Il s’agit du combat intérieur, contre le mal…)
Notre monde offre comme idéal le risque-zéro, l’assurance tous risques, etc. Il conduit à tourner en rond sans choisir, à sédentariser ainsi des populations entières. Il affirme que l’engagement à vie est une stupidité à ne pas commettre, une atteinte à la liberté, car aussi longtemps qu’on tourne en rond sur les ronds-points, on reste « libre » de choisir la route de sortie. La route, en vous faisant prendre conscience de la mission de vie qui est engagement de vie vous donne le goût du risque. Mais attention, le vrai goût, du vrai risque. La roulette russe ou le poker chinois sont des risques stupides, pervers. Il faut en avoir le dégoût. Le goût du risque est soumis au goût du vrai, à « l’Esprit de vérité » (Jn 16/13). Le vrai risque est un risque vrai : c’est le grand jeu de la vie, celui de jouer sa vie : « Etre chrétien, c’est jouer sa vie à qui perd gagne » disait Marie-Noël, commentant saint Jean 12/25 « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle »
« Jouer le jeu chrétien sans me soucier des conséquences ». Le vrai risque est comme le vrai abandon, comme le vrai renoncement. Il est « finalement de risquer ma vie en comptant sur votre amour » (Prière de l’abbé Joly)
Mission, engagement, risque, le grand jeu de la vie, voilà quelques composantes de l’esprit scout.
2.3. Pédagogie route
François-Xavier Bellamy, qui fut chef scout, vous a fait une très belle conférence sur l’engagement. Voir le site…
La promesse louveteau, puis la promesse scoute à 12 ans sont des engagements. Le Départ ne fait que renouveler ces engagements, à l’âge d’homme.
Un exemple : le louveteau dit toujours vrai – On pourra compter sur ma parole de scout, dit l’éclaireur. « Un routier-scout doit aimer passionnément la vérité, il ne se contente pas d’à-peu-près ou de la possession tranquille de vérités toutes faites… » est la 8e question du Départ routier.
Cette 3e étape de votre formation scoute est nécessaire si vous n’abandonnez pas la promesse …. « La route n’est pas un choix, c’est une prise de conscience » est un autre slogan de jadis. C’est de plus en plus vrai, à l’heure où on vous drogue de plaisirs et de consommations pour vous détourner de vous engager, où on « anesthésie la conscience » dit le Pape François.
3. Année 2016
Ce 40e Vézelay commence en fait la quarantième année de la route après Vézelay 1976. C’est le 39e anniversaire. En juillet 2016 nous vivrons le 40e anniversaire de la Route St Jacques Le Puy-Conques ; le 1er novembre 2016 nous fêterons les 40 ans du 1er Vézelay.
3.1. 40e année
40 est, dans la Bible, un nombre significatif : les 400 ans d’exil en Egypte suivis des 40 ans de la marche au désert , les règnes de 40 ans des 3 premiers rois, Saul, David et Salomon, la marche de 40 jours d’Hélie vers l’Horeb, etc. et dans le nouveau testament les 40 jours de combat du Christ au désert après son Baptême, les 40 jours de la Résurrection à l’Ascension, etc. vous y réfléchirez pendant cette 40e année.
3.2. Année sainte
La providence nous offre, pour vivre cette quarantième année, une année sainte, l’année de la Miséricorde.
- L’indulgence plénière durant cette année, est intimement liée au dogme de la Communion des Saints, que nous citons en récitant notre credo. Dans la cérémonie du Départ, le prêtre dit « Que la foule des saints t’accompagne », parole fondée elle aussi sur ce dogme. Et si nous avons choisi comme date de Vézelay la Toussaint, c’est précisément parce que le Départ routier tout entier est en harmonie avec cette fête.
- Notre Pape prépare cette année jubilaire et la JMJ de Cracovie l’an prochain, en faisant prier durant 3 ans sur une Béatitude :
Heureux les pauvres … en 2014
Heureux les cœurs purs ….en 2015 … cette année ?
Heureux les miséricordieux …. en 2016, et spécialement pour la JMJ
Les Béatitudes sont l’Evangile du Départ routier.
- C’est sur la montagne que notre Seigneur prononça les Béatitudes : nous montons sur la montagne de Vézelay pour les recevoir dans nos vies.
- Dans son message du 15 août 2015 (qui est pour nous la fête de la France), message pour la JMJ de Cracovie, le Pape écrit : « Cette année sainte de la miséricorde est le temps pour l’Eglise de retrouver le sens de la mission… » Retrouver signifie reprendre conscience. Ce qui est vrai pour l’Eglise est vrai pour chacun d’entre nous, redécouvrir notre mission sur terre. Pour l’éclaireur qui monte à la route, c’est découvrir sa vocation, la mission à laquelle Dieu l’appelle.
- « La Croix est le signe le plus éloquent de la miséricorde de Dieu…» (message du 15 août)
Le prêtre lors du Départ : « Que la croix scoute à 8 pointes aiguës te rappelle les 8 béatitudes du sermon sur la montagne »
J’arrête, vous avez un an pour découvrir l’harmonie qui existe entre la vie de l’Eglise durant cette année sainte de la Miséricorde, et votre première année de route, qui est la 40e année après le 1er Vézelay de 1976. La providence vous donne pour votre première année de route, une année sainte.
3.3. Année de route
De même qu’à la troupe, le garçon prononce sa promesse, puis passe sa 2e et sa 1ère classes, de même l’équipier pilote prend son engagement RP puis son Départ routier. Vous êtes disons un millier d’équipiers-pilotes aujourd’hui, cela fait espérer un millier de RP d’ici un an ou plus, et un millier de RS d’ici 4 ans environ. La communauté d’hommes vous attend ! Plus, elle a besoin de vous.
A vous de marcher seul ! L’unité à l’âge louveteau est la meute, à l’âge éclaireur c’est la patrouille, reliée à la Cour d’honneur de la troupe. « A la route l’unité, c’est le garçon », (encore un slogan), qui progresse seul, qui apprend à progresser seul. Les chefs et les prêtres sont à ta disposition, mais ce ne sont pas deux gendarmes qui escortent un prisonnier menotté, ce sont des personnes prêtes à t’aider, dans la mesure exacte où tu le leur demandes. Autre slogan de jadis « La route n’est pas faite pour nourrir mais pour affamer ». A toi d’aller chercher ta nourriture ! En chasse ! « Toi qui cherches, toi qui doutes … entends l’appel de la route » est le chant du Départ. La route est déjà le grand jeu de la vie : à toi de jouer !
Encore un mot d’hier : un vrai chef est exigeant. Sa qualité est proportionnelle à ses exigences, à condition qu’il applique d’abord à lui ces exigences, et même qu’il s’applique à lui-même plus qu’aux autres. (sinon il est un pharisien…) . Un chef qui exige peu, en fait, te méprise : il ne te croit pas capable de lui dire « difficile, c’est fait, impossible on essaie ». La route est exigeante : « si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix » dit le Seigneur. Ta croix scoute, tu l’as prise lors de ta promesse. Alors, continue ! Exige de tes chefs qu’ils soient durs et exigeants, et ne te prennent pas pour un … mou.
Un dernier mot avant de conclure : la mémoire est un moyen d’apprendre, mais savoir par cœur c’est savoir par le cœur, comme le dit le renard au petit prince, surtout comme l’enseigne l’Eglise. Tu connais ta loi scoute par cœur (cérémonial : récite la loi, etc.) Pour en vivre, il faut la situer au niveau du cœur, qui seul voit l’invisible et écoute le silence. Cela exige un petit effort de mémoire, mais surtout un effort permanent d’ouverture du cœur. « Apprenez-nous ce qui fait l’âme grande »
Dès aujourd’hui, commence à prendre par le cœur tout le cérémonial du Départ, (tout ce que dit le chef et tout ce que dit le prêtre, et pas seulement « oui chef » 10 fois). Un passage par mois, à redire, à méditer tous les jours lors de ton heure-route, par exemple, pour commencer à en vivre. Si tu veux vivre un engagement, il faut qu’il soit gravé dans ton cœur.
C’est un contre-témoignage absolu qu’un chef qui, pour recevoir une Promesse ou un Départ a besoin du livre du cérémonial. En vit-il ? y croit-il seulement ?
Conclusion, la surprise de la fin
Pour conclure, je suis venu aussi pour annoncer une surprise et vous inviter tous.
Pour la Toussaint 2016, à Vézelay, l’Evêque de Pamiers viendra. Il s’appelle Jean–Marc Eychenne, c’est le premier RP, le n° 10 (n° 1 à 9 jamais attribués ). Il est aussi le premier RP qui a pris son Départ routier, à Conques en juillet 1976, le dernier jour du premier tronçon St-Jacques. Lors des investitures RP qui eurent lieu à ce 1er Vézelay, c’est lui qui remettait les Lettres RP aux nouveaux.
Pour la messe il sera assisté d’un diacre. Ce diacre sera Jean-Paul Rousseau, RP n°12, et RS. Jean-Paul est marié et père de famille nombreuse.
Enfin je vous invite à apprendre ou réapprendre, ce que nous appelons le Salve de l’Aubrac. Lors du premier tronçon St-Jacques, nous l’avons entendu et enregistré, chanté par le vieux curé de l’Aubrac, le père Lauriac. Nous l’avons appris lors des 3 jours de marche du 1er Vézelay et chanté dans la basilique. Et depuis toutes les routes l’ont chanté, et dans bien des associations de marche nous l’avons diffusé, à Ultreia en particulier.
Ce Salve se chantait encore dans quelques paroisses avant le concile, mais le « nettoyage stupide » du grégorien après le concile l’avait fait oublier. Le père Lauriac nous a dit qu’il était le dernier à le chanter, en 1976, et très âgé, nous a demandé de continuer à le chanter, après lui. Ce sont les Scouts d’Europe qui l’on fait connaître partout, y compris à Compostelle lors de notre route de 1982 : nous l’avons remis à l’archevêque de Santiago, qui l’ayant entendu, chanté par nous, nous en a demandé la partition.
Grâce à Dieu, en 2001, 25 ans après, le Père Gouzes ayant retrouvé ce Salve, qu’il connaissait de son enfance dans le Rouergue, en a réalisé une harmonisation splendide à 3 voix, partition qui se chante maintenant dans certains clans. Ce serait émouvant si en 2016 tous les routiers pouvaient chanter ce Salve, selon cette superbe harmonisation. Ce serait faire revivre, à plusieurs voix, le recto-tono de l’abbé Lauriac, légué aux routiers scouts d’Europe, en1976.
Ce serait la clôture de ce 40e anniversaire de Vézelay, du « Vézelay de la Misericorde »,
Salve Regina, Mater Misericordiae…
Jean-Charles de Coligny, RS